En 2012, je pars en Chine pour étudier le mandarin à l’université de Wuhan.
Après un premier mois difficile en raison du décalage culturel, je me fais deux amis chinois : Cui Chang et Pei Wen.
Cui Chang est un étudiant chinois. Il étudie la musique pour devenir chanteur d’opéra. Pei Wen est une étudiante en philosophie. Elle réalise à l’époque une thèse sur Michel Foucault.
Nous faisons pendant un an de nombreuses sorties, promenades et visites dans l’immense ville de Wuhan. Pei Wen organise pendant les vacances un voyage pour visiter les temples de Shaolin et la célèbre armée de soldats en terre cuite du premier empereur de Chine (兵马俑, bīngmǎ yǒng). Elle me fait découvrir la cérémonie traditionnelle du thé ainsi que les instruments de musique traditionnels chinois. Malgré nos différences, nous nous sentons très proches tous les trois.
À cette époque, j’avais comme référence sur la Chine les livres de l’écrivain chinois François Cheng et de l’écrivain et sinologue néerlandais Robert Van Gulik. J’avais une idée assez vague de qui était Confucius.
Ce n’est qu’à mon retour en France lors de mes études à l’INALCO que j’ai pu étudier plus en profondeur le Confucianisme.
Confucius est un personnage central de la civilisation chinoise. Il porte l’héritage de l’ancienne dynastie royale des Zhou.
Il déploie une conception éthique de l’homme chinois qu’il décrit dans les Entretiens.
La notion de ren chez Confucius désigne alors la “vertu d’humanité”, le “sens de l’humain”.
Elle désigne une aptitude à sentir ce qui est humain.
Nous allons voir dans cet article ce que cela signifie qu’être humain chez Confucius et si l’on peut manquer à cette tâche.
Le personnage de Confucius
Le nom de Confucius est la latinisation par les jésuites au XVII ième siècle de Kongfuzi (孔夫子) ou maître Kong. Les enseignements de Confucius proviennent d’un petit livre intitulé les Entretiens. Cet ouvrage compilé par les disciples et arrières disciples de Confucius rapportent les propos du maître sous la forme de dialogues et discussions.
Selon les sources historiques, Confucius aurait vécu jusqu’à l’âge de 72 ans. C’est pour cette raison qu’il est toujours représenté sous les traits d’un vieillard.
Confucius est originaire de la principauté de Lu dans l’actuelle province chinoise de Shandong. Engagé dans la vie politique, il occupe des postes subalternes à la cour de Lu pour finir ministre de la Justice.
De par ses origines sociales, Confucius appartient à une classe spécifique : celle des lettrés-fonctionnaires de la Chine impériale, les shi (士).
Selon la légende, Confucius quitte sa province natale en signe de désapprobation de la politique locale. A l’époque des Printemps et Automnes (771 à 481/453 av. J.-C), la maison royale est en plein délitement. La question en Chine est alors de savoir comment le Ciel, légitimant le pouvoir des empereurs chinois, a pu laisser une dynastie impériale en pleine décomposition conserver le pouvoir.
A la cinquantaine, il démissionne de ses fonctions politiques et s’engage dans la quête de la Voie, afin de restaurer le mandat du Ciel. Il part pour conseiller des souverains de diverses principautés chinoises.
A soixante ans, il revient dans sa principauté natale pour enseigner auprès de disciples.
C’est à cette époque que l’ensemble de ses enseignements auraient été compilés pour former l’œuvre canonique de Confucius.
Aux origines du confucianisme
La pensée confucéenne est très contextualisée. Elle se développe lors de la période des Printemps et Automnes (771-256 av. J.-C) dans une situation de crise politique très profonde. Elle née de la volonté de rétablir un cadre civilisationnel dans lequel l’homme chinois pourrait s’épanouir.
Être humain pour Confucius consiste alors à se conformer aux formes culturelles, rituelles, de l’ancienne civilisation royale des Zhou.
Le confucianisme consiste à développer un cadre pour apprendre à habiter harmonieusement une civilisation donnée.
Il décrit ainsi une manière de penser et d’agir en société de façon à garantir l’ordre social.
Cette éthique confucéenne se manifeste dans la façon de se tenir, de dire bonjour, de parler à certaines personnes en fonction de leur statut social.
Qu’est ce que le ren chez Confucius ?
Le ren, que l’on peut traduire par “qualité humaine”, est une notion centrale de la pensée confucéenne. Terme polysémique, le ren désigne à la fois :
- L’homme au sens naturel, représenté par la bipédie dans le caractère chinois (ren人). L’homme peut se définir par sa verticalité, sa position axiale entre la terre qui le nourrit et le ciel qui le dirige. Cette position physique de l’homme “entre ciel et terre” l’inscrit dans un sens. L’homme est un être intermédiaire entre un plan inférieur et un plan supérieur. Autrement dit, l’homme s’inscrit toujours dans une hiérarchie. L’homme se définit et se caractérise par sa relation hiérarchique (prince et sujet, père et fils, mari et femme). Être humain consiste donc à savoir se tenir dans une hiérarchie.
- La vertu d’humanité, le sens de l’humain. C’est cette aptitude à sentir ce qui est humain. Bien que Confucius refuse de donner une définition définitive, le ren pourrait se rapprocher d’un sentiment de confiance et de bienveillance entre les hommes. Selon Confucius, la noblesse de l’être humain réside dans son humanité. Il s’agit de cette disposition native du cœur d’être affecté par l’état des autres êtres humains.
Les quatre composantes du ren
- La loyauté (zhong 忠). Il s’agit d’une exigence envers soi-même et les autres. Cette composante du ren est à rattacher à la notion du “milieu juste et constant” (zhong yong 中庸), désignant cette exigence d’équilibre, d’équité et de mesure vers lequel tout individu doit tendre pour être pleinement humain.
- La confiance (xin 信) ou fidélité. L’harmonie des relations familiales ou sociales reposent sur la confiance. Ce caractère chinois désigne dans sa graphie la parole de l’homme, ou l’adéquation entre la parole et l’action. Il s’agit de l’intégrité d’une personne sur laquelle repose sa bonne intégration à la société.
- Le discernement (zhi 智). Il s’agit de la capacité de discernement moral. Le discernement est selon le penseur Xunzi une forme d’intelligence s’appuyant sur le bon sens. Cette intelligence s’appuie sur le coeur/esprit (xin 心) pour juger si une action à entreprendre est juste ou non.
- Le courage (yong 勇). Le courage est l’une des composantes du ren à tempérer avec les autres vertus.
Existe-t-il un homme parfait ?
Être humain selon Confucius n’est pas un caractère inné. C’est un acquis culturel. Il s’acquiert au fil des apprentissages.
Pour être humain, l’homme doit apprendre à se tenir physiquement, moralement, par rapport à quelqu’un. Il doit apprendre à régler sa conduite avec justesse de façon à s’intégrer à la communauté des hommes.
Le portrait de l’homme parfait selon Confucius est celui d’un homme qui parvient à mettre son ego de côté pour se replacer dans le sens de l’ordre. Il s’agit d’un homme qui parvient à prendre sa place en se conformant au monde rituel, formel, et culturel.
L’idéal du gentilhomme chez Confucius
Confucius fait souvent référence au terme de gentilhomme (junzi (君子), ou littéralement le “fils du seigneur”, qui désigne l’être humain accompli.
Cette qualité de gentilhomme ne vient pas du rang social mais plutôt de la valeur morale.
Il est “l’homme de bien”, ou “l’homme de juste” s’opposant à l’homme de peu (xiaoren 小人).
Le junzi incarne la trinité de l’enseignement confucéen : l’apprendre, le sens de l’humain, et l’esprit rituel.
L’ensemble des ces qualités confucéennes confèrent au gentilhomme une souveraineté céleste, lui conférant une autorité ainsi qu’une légitimité pour gouverner.
Peut-on rater sa vie selon Confucius ?
Selon Confucius, chaque être humain a une responsabilité à intégrer le monde et s’y conformer en s’adaptant aux coutumes en vigueur. Il doit se mettre en chemin pour apprendre, développer son humanité (le ren), et maîtriser les rites.
Il s’agit même d’une mission sacrée pour l’homme de bien que de s’élever toujours davantage dans sa propre humanité.
Si un individu ne s’éduque pas pour être humain, il prend le risque de ne pas atteindre sa vraie nature. Ce constat porte une dimension tragique, car il sous-entend qu’il est possible de passer à côté de son existence.
Peut-on être confucéen ?
Le projet de Confucius est de restaurer un cadre civilisationnel bien spécifique : celui de la dynastie des Zhou.
Cette ancienne civilisation royale est considérée comme un âge d’or que la tradition confucéenne souhaite retrouver.
Être confucéen s’inscrit donc dans le projet civilisationnel des Zhou. Cela implique de se conformer aux formes culturelles et rituelles de cette époque.
Un français ne peut donc pas être confucéen. Toutefois, il peut s’en inspirer.
Toute personne peut s’inspirer de l’idéal confucéen du gentilhomme, celui qui a décidé de s’éduquer, de développer son humanité et s’accorder aux us et coutumes pour vivre en harmonie dans la société.
Sources et références :
Anne Cheng, 1997, Histoire de la pensée chinoise
Alexis Lavis, 2010, L’espace de la pensée chinoise
Alexis Lavis, 2017, Confucius une philosophie de vie, Épisode 4, France Culture,
Marine Manouvrier, 2019, Vivre méditer agir : Confucianisme, taoïsme, bouddhisme pour aujourd’hui
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