Avez-vous déjà eu la sensation d’être dans le brouillard ?
Vos idées sont alors confuses. Vous vous sentez perdu. Cela m’arrive très régulièrement. J’ai alors la sensation de flotter dans un bain de nuages.
Le bouddhisme a développé une compréhension très fine de l’esprit. Il nous montre comment voir plus clairement la réalité. Cette faculté de discernement se nomme prajna.
Nous allons voir dans cet article ce que le bouddhisme nous enseigne sur l’esprit et comment travailler notre capacité de discernement.
La compréhension de l’esprit dans le bouddhisme
En Occident, nous rencontrons deux écueils à la compréhension de l’esprit dans le bouddhisme.
Le premier, c’est notre tendance à réduire l’être humain à son psychisme. C’est pourquoi si vous vous sentez perdu, vous aurez certainement un ami ou collègue pour vous inviter à consulter un psy.
Le deuxième écueil consiste à envisager des vérités qui soient extérieures à notre expérience sensible. Ce serait par exemple penser que les enseignements du Bouddha seraient, un jour, tombés du ciel. C’est ce que le philosophe Fabrice Midal appelle la « prise métaphysique de l’Occident ».
Les connaissances de l’esprit dans le bouddhisme ne proviennent ni de discussions sur le divan, ni d’un autre monde.
Elles sont plutôt le fruit de la pratique de la méditation par des moines depuis des temps anciens.
Cette démarche de compréhension du réel par l’expérience sensible se nomme la phénoménologie.
Elle est en rupture avec la psychologie qui tente de comprendre le monde par la psyché humaine. Elle s’oppose aussi à la métaphysique qui désigne la connaissance des choses du monde comme étant extérieures à l’expérience sensible.
Le singe, l’éléphant et le moine
La tradition bouddhiste décompose l’esprit en trois fonctions symbolisées par un singe, un éléphant et un moine :
- La première fonction de l’esprit est liée à la volonté (città en sanskrit). Elle est symbolisée par un singe constamment à la recherche de divertissement. Cette facette de l’esprit est associée à la dispersion, l’agitation, l’égarement. Elle nous empêche de vivre le moment présent. Elle n’est pas mauvaise en soi, car elle peut donner envie d’approfondir la pratique de la méditation.
- La deuxième fonction de l’esprit est celle qui colle des étiquettes aux choses. Le bouddhisme la représente par un éléphant, doté d’une vaste mémoire, qui catégorise les expériences. Elle se nomme manas en sanskrit et peut se traduire par « intellect » ou « mental ». Elle est la facette de l’esprit qui souhaite prendre le contrôle du monde.
- La troisième fonction de l’esprit permet de voir les choses telles qu’elles se présentent à nous. Elle est symbolisée par un moine (dhi), posant un regard neuf sur le monde. Elle s’extrait à la fois de la tentation de se divertir ou d’intellectualiser le monde.
Ces trois facettes de l’esprit s’explorent dans la pratique de la méditation. Elles se rencontrent régulièrement dans notre expérience lorsqu’on médite régulièrement.
Pourquoi je ne cherche plus à comprendre
Après cet email, j’ai décidé de ne plus chercher à comprendre.
Le 7 et 8 mai 2022, j’ai participé à un week-end de pratique de la méditation à Paris.
L’enseignante de ce week-end était Marine Manouvrier.
Marine pratique la méditation depuis plus de vingt ans. Elle est professeur de philosophie, et auteure d’un ouvrage de référence sur le bouddhisme.
Après une séance de pratique, nous avons un moment d’échange. Comme souvent, un mot revient régulièrement : « l’esprit ». Ce mot flotte dans la conversation sans que je ne parvienne à le comprendre vraiment.
Agacé par cette sensation de confusion, je demande alors à Marine son point de vue sur la « vérité de l’esprit ».
Je me souviens alors d’être déçu par sa réponse. C’était comme si ma question était tombée dans le vide, sans trouver le moindre écho.
Je remercie toutefois Marine dans un email le soir même. Et le jour d’après, je reçois cette réponse :
Je repensais à ta question et me disais que la vérité que tu rencontres avec la pratique, c’est en fait la vérité de ton propre esprit (comment il est, ses mouvements, ses patterns, ses freins, ses envolées …).
Marine Manouvrier, email du 09/05/2022.
En lisant ce mail, je réalise alors qu’il n’y a pas de vérité à comprendre sur l’esprit qui soit autre que notre propre expérience.
Et dans mon expérience, il n’y a rien de plus horrible que de voir ma propre confusion.
L’éveil dans le bouddhisme n’est pas un trophée qui récompense les bons méditants au bout du chemin. C’est plutôt une disposition présente en chacun de nous.
Comme le dit le philosophe Alexis Lavis :
Il n’y a donc rien à conquérir ou à acquérir qui nous manquerait.
Alexis Lavis, 2013, Paroles de sages chinois, p.103.
Un passage des Entretiens de Linji, grand maître du bouddhisme chan, illustre bien cet écueil du chemin de l’éveil.
Il y eut un dénommé Ting qui arriva pour consulter le maître Linji. Il demanda quelle était la grande idée du bouddhisme. Le maître descendit de son siège, l’empoigna, lui donna une claque, puis le lâcha. Ting resta debout, figé. Les moines qui se trouvaient à ses côtés lui dirent :«Ting, pourquoi ne saluez-vous pas ?». A peine Ting eut-il salué qu’il atteignit le grand Éveil.
Les entretiens de Lin-tsi, trad. P.Demieville, Paris, Fayard, p.194.
S’il n’y a rien à comprendre, ni rien à acquérir, que nous reste-t-il ?
La méditation comme entraînement de l’esprit
La pratique de la méditation permet de faire l’expérience des enseignements du bouddhisme sur l’esprit. Elle nous permet d’entrer en rapport à nos pensées et émotions. Avec le temps, nous percevons davantage les moments où notre esprit s’égare ou lorsqu’il souhaite tout contrôler.
Cette expérience de l’esprit se manifeste au travers du corps. Le corps permet au méditant de voir avec précision la façon dont se manifeste son esprit. La posture verticale permet de s’ouvrir à la présence. Cette présence du corps favorise la clarté et la stabilité de l’esprit.
L’esprit se manifeste également par l’attention que nous portons à la respiration.
Enfin, l’attention que nous portons à l’esprit nous aide à mieux connaître sa nature.
Au fil de la pratique, nous développons un sens de responsabilité dans notre vie quotidienne. Comme l’affirme le grand maître du bouddhisme tibétain, Chögyam Trungpa Rinpoché, la pratique régulière de la méditation permet de prendre en charge les événements de la vie quotidienne. Les événements s’intègrent à la pratique méditative. Nous devenons au fil du temps acteurs et créateurs de notre propre vie.
Prajna : une vue claire de la réalité
Prajna est la faculté de voir clairement la réalité. Elle est la juste compréhension qui permet d’identifier les causes de la souffrance afin de s’en tenir à l’écart. Elle est la première disposition enseignée par le Bouddha dans l’Octuple Sentier afin de s’éloigner de la confusion.
Prajna constitue également la sixième paramita dans le bouddhisme. Il s’agit de la traversée ultime qui conduit à l’éveil (nirvāṇa) ou à l’état de bodhisattva.
En observant son étymologie, on remarque que “prajna” est constitué de deux mots: “pra” qui signifie ce qui est premier et “jna” qui signifie “connaissance”.
La prajna correspond ainsi à une forme de clairvoyance, d’intelligence première. Elle est une faculté de discernement dans les situations auxquelles nous sommes confrontées. Elle provient d’une intelligence primordiale. Elle se manifeste en amont de tout jugement, avant que ne l’esprit ne s’empare des choses ou ne se perde dans le divertissement.
La prajna permet de développer une forme d’agilité dans les différentes situations de l’existence. Elle est une intelligence des situations qui provient de l’écoute de notre propre expérience.
La voie royale pour développer la prajna est la pratique de la méditation.
Parmi les nombreuses pratiques de méditation, la pratique de la présence attentive est particulièrement aidante pour cultiver la prajna. Elle consiste à se poser (shamatha) et voir clairement ce qui est (vipashyana).
Qu’est-ce que prajna nous fait voir ?
On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.
Héraclite
Prajna nous éclaire sur la nature du monde : l’impermanence. En cultivant prajna, on s’aperçoit que la réalité est un mouvement perpétuel. Comme l’indique le proverbe du philosophe grec Héraclite, la réalité est un enchaînement de situations qui ne se répètent jamais deux fois à l’identique.
Ce constat de l’impermanence implique alors que l’être humain peut évoluer et se transformer tout au long de sa vie. Toute situation n’a rien de définitif car elle suit la loi du mouvement perpétuel.
Sources et références :
Manouvrier, M. (2015). 50 notions clés sur le Bouddhisme pour les Nuls.
Manouvrier, M. (2019). Vivre, méditer, agir : Confucianisme, taoïsme, bouddhisme pour aujourd’hui. Tallandier.
Trungpa, C. (2014). L’entraînement de l’esprit : Et l’apprentissage de la bienveillance.
Fabrice Midal, (2017), La méditation.
Lavis, A. (2013). Paroles de sages chinois.
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